Le Pouzza fest devait fêter ses 10 ans cette année, et une programmation de feu avait déjà été annoncée, avec la venue de groupes comme Propagandhi, Millencolin, Good Riddance, War On Women et The Creepshow. Bien entendu, ce n'est que partie remise, car le festival entend bien être de retour en 2021, lorsque les conditions seront favorables bien sûr.
Malgré cette annonce, ont ne peux qu'imaginer l'angoisse qu'a du vivre l'équipe derrière le Pouzza, alors que la situation empirait de jours en jours, et que l'industrie événementielle s'apprêtait à prendre un virage sans précédent.
Nous avons voulu savoir comment Hélène McKoy, co-fondatrice de l'évènement, a fait face à cette situation et surtout comment elle a participé à rendre le festival, l'un des plus importants au pays dans le domaine de la musique underground, en tant que femme dans une industrie dominée par l'homme.
Bonne lecture!
Bonjour Hélène, premièrement comment vas-tu? T'es-tu découvert de nouveaux talents depuis le début du confinement?
Je trouve TRÈS chanceux ceux et celles qui ont du temps en confinement parce qu'avec 2 enfants en bas âge, j’ai encore moins de temps pour moi qu’avant. Je suis en mode « répondre à des besoins constants » de 6h du matin à 20h30.
L'industrie du spectacle traverse depuis 1 mois et demi la plus grande crise de son histoire. À quel moment avez-vous senti que l'impact allait être majeur ? Quel a été le premier drapeau jaune pour vous et quelles actions avez-vous posées en premier?
Je ne sais pas si Matt (Matt Collyer de Stomp Records qui est aussi actionnaire du Pouzza) a un don de clairvoyance, mais dès le début de la pandémie en Chine, quand personne ne pensait que ça se rendrait ici, il a vu ça venir. Donc quand il y a eu les premières annonces, déjà nous avions ralenti nos activités, nous avions cessé de prendre des engagements qui impliquaient de l’argent etc. Mais chaque semaine, on espérait que ça passerait. Quand les premiers festivals ont annoncé leur report (Santa Teresa et Metro Metro qui sont en même temps que nous) on a décidé d’en faire l’annonce. Même si déjà on le savait qu’on reporterait, l’annoncer a été difficile surtout qu’on fêtait nos 10 ans cette année.
On a tous tellement souhaité qu'un miracle se produise avant la tenue du Pouzza, mais étant donné qu'il est placé si tôt au printemps, on savait bien qu'il serait le premier à écoper. Quelle a été ta réaction?
Au début, on gardait espoir et à un moment, je voulais juste qu’on tire "la plug" et qu’on passe à autre chose. Ça devenait trop anxiogène d’être dans l’incertitude comme ça surtout que plus le temps passait, moins on avait le temps de le préparer ce festival!
Retournons en arrière maintenant. Tu as co-fondé le festival avec Hugo Mudie en 2011. Qu'est-ce qui t'a motivé à partir dans cette aventure et à quel moment as-tu su que vous aviez quelque chose qui pourrait un jour fêter ses 10 ans?
Jamais nous avons pensé se rendre à 10 ans. J’ai 35 ans, j’ai donc commencé le Pouzza à 25 ans, j’étais jeune, j’avais rien à perdre et je trouvais que tout était là pour que ça marche : les dates en mai, le fait qu’il n’existait pas de festival punk à Montréal, les contacts d’Hugo dans le milieu et surtout notre totale insouciance! 2 choses ont complètement changé l'histoire du Pouzza : l’ajout du site extérieur (donc la possibilité de vendre de l’alcool) et l’arrivée de nouveaux membres au sein de l’équipe dirigeante en 2015-2016. La charge de travail, la pression, etc. est donc répartie sur plusieurs au lieu de juste Hugo et moi et ça fait toute la différence. Il y a aussi l’arrivée de commanditaires impliqués et motivés qui a permis au Pouzza de passer à un niveau supérieur. Maintenant je peux même imaginer les 20 ans du festival sans difficulté.
Quelle est ta formation et quels sont tes fonctions au sein de l'organisation du Pouzza?
J’ai étudié en communications à l’UQAM, je voulais travailler dans le milieu du cinéma mais la vie m’a amené en musique finalement, j’ai travaillé dans des maisons de disques et de booking quelques années. On a commencé la compagnie quand j’avais 23 ans alors on peut dire que j’ai beaucoup appris « sur le tas »! Présentement mon rôle au sein du festival est beaucoup plus effacé, je continue à travailler sur le site extérieur qui est pas mal mon « bébé », je fais un peu de demande de subs et autres taches connexes. J’essaie de passer le flambeau car il faut de la relève!
Je lisais une entrevue avec Hugo récemment, où il mentionnait que dans les premières années du Pouzza, il n'avait aucune idée que l'environnement du festival pouvait être non-sécure pour les femmes et qu'il prenait pour acquis que notre scène était assez intelligente pour ne pas se rabaisser à des inconduites sexuelles, jusqu'à ce que vous receviez un email d'une femme qui disait avoir peur de retourner au Pouzza à cause qu'elle avait été victime d'attouchements non-sollicités dans le "pit" par un homme en était d'ébriété avancé. Quelle a été ta réaction lorsque tu as appris ça?
Extrêmement triste pour cette victime et en même temps fâchée contre moi d’avoir naïvement pensé que notre festival pouvait être à l’abris de la violence. J’ai été déçue de ne pas avoir pris les mesures de façon préventive au lieu d’attendre qu’il se passe quelque chose.
Il y a 2 ans tu affirmais haut et fort être en faveur des quotas sur la présence des femmes dans les festivals. Premièrement bravo pour cette prise de position! Deuxièmement, que penses-tu de ceux qui disent que d'imposer un quota peut amener à choisir des groupes non pas pour leur talent, mais seulement pour leur genre?
Je me bats contre cette idée préconçue constamment, même avec mon père haha! Les femmes ont des milliers d’années d’inégalités à rattraper et ce n’est pas avec des mesures de type « bonne volonté » et encouragements qu’on va atteindre cette égalité. Certains voient les quotas comme si c’était une condamnation à présenter une programmation de moins grande qualité automatiquement. Juste cette pensée démontre l’importance encore plus grande de cette mesure. Les gens s’entourent de gens qui leur ressemble, c’est rassurant, c’est confortable. Quand à la tête de toutes les entreprises, organismes et événements, ce sont des hommes, ils ont donc une propension à s’entourer d’hommes, d’hommes qui leur ressemblent de surcroît. Donc le boys club devient un cercle imperméable et homogène. Parfois, une femme s’immisce dans ce cercle et là, une nouvelle vision arrive. Mais se fier à la bonne volonté des dirigeants pour y arriver c’est pas mal du pelletage de nuage. Il faut des mesures. Quand un booker me dit : j’ai essayé de booker des femmes dans mon festival mais il y en avait pas de dispo, je n’y crois pas. C’est tout à fait possible d’offrir une programmation paritaire intéressante, les femmes représentent 50% de la population, ce n’est pas un groupe minoritaire.
En 2018, vous avez ajouté à la programmation du Pouzza une table ronde pour discuter de la situation des femmes dans l'industrie. Qu'est ce qui vous a amené à prendre cette décision et quel était ton bilan de la première rencontre?
Le timing était là, ces questions se posaient de plus en plus dans les médias et on voulait y amener notre avis, notre couleur aussi. Parce que si se tailler une place dans la musique en général c’est difficile pour une femme, dans la scène punk c’est une coche de plus! Pas parce que c’est une scène plus misogyne qu’une autre mais parce que c’est la seule qui est encore très très DYI, très peu ou pas subventionnée ni organisée, donc moins sécuritaire et plus de type "je booke mes amis qui booke mes amis qui booke mes amis et ainsi de suite ». Les temps changent heureusement.
La scène punk locale est reconnue pour être très inclusive et l'esprit du Pouzza en est un bel exemple. Par contre, l'industrie de la musique est principalement dominée par les hommes et le sexisme y est encore présent. As-tu senti avoir à te battre contre ça durant ton parcours?
Oui mais je suis devenue plus intransigeante à ce niveau que dernièrement. Avant, mon manque d’expérience et de connaissance du milieu et de la scène m’empêchait de faire ma place et je laissais le sexisme s’installer sans réagir. Depuis 5-6 ans, j’ai pris ma place et je trouve ça dommage de ne pas l’avoir pris avant. Je te donne un exemple, dans tous les articles des 2 premières années du Pouzza, on disait « Hugo Mudie, fondateur ». aucun journaliste ne s’est demandé si c’était moi la fondatrice, ou la co-fondatrice. On prenait pour acquis que je travaillais pour Hugo. Vous me direz que c’est parce qu’il était une figure connue, je ne crois pas. Je crois que si j’avais été un homme, même sans être connu, on aurait reconnu mon rôle. Le sexisme, comme le racisme, c’est insidieux, ce n’est pas toujours (même que c’est rarement) le mononcle qui t’appelle ma petite cocotte. Le sexisme c’est d’offrir d’emblée des postes d’organisation, d’adjointe ou d’administration à des femmes d’un côté et de l’autre, offrir à des hommes, des postes de direction, c’est demander à la seule femme au meeting si elle peut prendre des notes, c’est demander en entrevue à une femme si elle prévoit avoir des enfants, c’est demander à des artistes femmes seulement comment c’est de conjuguer famille et vie de tournée, etc.
Quels conseils aurais-tu à donner à de jeunes femmes qui voudraient faire leur place dans le domaine musical?
Ne pas faire comme moi et laisser son insécurité prendre le dessus, tout le monde commence à la même place et il n’y aucune raison pour que ce soit différent pour un homme ou pour une femme.
De dénoncer aussi, même les comportements qui semblent anodins et de ne pas penser que ce n’est pas important. Aujourd’hui, les gens écoutent contrairement à il y a 10 ans.
Nous savons qu'il doit y en avoir plusieurs, mais pourrais-tu nous raconter un de tes meilleurs souvenirs du festival?
Il y a de bons moments dans les premiers Pouzza mais c’était tellement de pression que j’ai de la misère à y repenser avec beaucoup de tendresse hahaha! je dirais que l’esprit de famille avec les bénévoles et les bands qui s’est établie très rapidement c’est pas mal le meilleur du festival. Revoir les mêmes visages de bénévoles années après années c’est une preuve d’amour pour le festival qui me rend très fière.
Comment est-ce qu'on peux supporter l'organisation du Pouzza en son absence cette année?
Si vous avez acheté votre passe, gardez là pour l’an prochain car on va revenir c’est 100% sûr! Sinon, achetez de la musique ou de la merch des artistes locaux question que la scène survive car sans elle,
pas de festival!
Terminons avec des tops 5:
Tes 5 meilleures réussites de "booking" au festival:
Against Me! qu’on voulait depuis l’an 1
Dillinger Four parce que le show était fou
Bouncing Souls
Vic Ruggiero parce qu’il fait partie des artistes les plus sympathiques que le Pouzza jamais rencontré
Kim Shattuck parce que c’était le rêve de Hugo de la booker et qu’il a réussi quelques années avant qu’elle nous quitte.
5 groupes que tu as découvert grâce au festival:
ouf en 9 ans j’ai presque pas vu de shows, trop occupée à travailler! mais disons vite de même 3 qui m’ont marqué :
RVIVR
The menzingers qui n’étaient pas encore très big à l’époque
Masked intruder
5 femmes de l'industrie qui sont inspirantes:
Je te dirais que j’admire toutes les jeunes musiciennes qui commencent à faire de la musique et qu’on voit jouer au Pouzza depuis quelques années. Je les trouve tough, très sûres d’elles et je sens qu’on s’en va dans la bonne direction. Ça m’encourage!
5 albums que tu apporterais sur une île déserte:
The River de Bruce Springsteen
Time de Gillian Welch
1989 de Taylor Swift
The Boatman’s call de Nick Cave
Songs of Leonard Cohen.
https://pouzzafest.com/
https://www.facebook.com/PouzzaFest/
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